Tourisme de masse : agir avant de devoir réagir (Pierre-Frédéric Roulot)

Barcelone, Dubrovnik, Amsterdam, Santorin, d’autres encore : toutes ces destinations ont été contraintes de prendre des mesures drastiques pour éviter la congestion des touristes. Une tendance qui appelle en France de rapides solutions afin de promouvoir un tourisme « soutenable ».

Toutes les économies mondiales se battent pour attirer toujours plus de touristes. Certains pays font tout pour profiter de cette manne, comme le Maroc, qui vise les 20 millions de touristes à l’horizon 2020, ou encore la ville de Bilbao, dont le budget de promotion est supérieur à la totalité de celui de la France. On les comprend : avec peu d’investissement, le secteur du tourisme, fortement créateur d’emplois non délocalisables, a offert en retour une croissance de 7 % en moyenne ces quinze dernières années, et, d’après les analystes, promet une croissance identique, voire supérieure, pour les quinze prochaines.

La manne des touristes chinois et indiens

La prévision est crédible avec des pays entiers qui s’ouvrent au tourisme. On pense à la Chine bien sûr. Le plan étatique chinois prévoit pas moins de 250 millions de visas accordés pour l’étranger ces trois prochaines années. Aujourd’hui, déjà 135 millions de Chinois voyagent hors de leurs frontières, alors qu’il y a trois ans à peine leur pays n’accordait de visas pour l’étranger qu’avec parcimonie. D’autres pays vont aussi se poser en accélérateurs du tourisme mondial, comme l’Inde et son 1,4 milliard d’habitants ou l’Indonésie, dont le dynamisme économique produit des CSP+ tout aussi avides de dévorer le monde. Avec l’objectif d’atteindre 100 millions de touristes, la France n’est pas en reste pour tirer parti de ce marché prometteur qui bénéficie à près de 10 millions d’emplois.

Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes touristiques si nous ne dansions sur un volcan. Quelques éruptions devraient déjà nous alerter…  Barcelone a fermé ses portes à tout nouveau projet touristique , hôtels et plates-formes de location, Dubrovnik a installé des quotas, Amsterdam a interdit tout nouveau magasin de tourisme pour préserver les derniers commerces qui permettent aux locaux de faire leurs courses de tous les jours, Santorin a bloqué toute nouvelle arrivée de bateau de croisière. Et que dire de Venise ?  La Venise d’après-guerre comptait 350.000 habitants. Aujourd’hui ? Seulement 50.000 pour plus de 30 millions de visiteurs qui transforment la Sérénissime en un Disneyland où il est évidemment plus rentable de proposer les logements sur des plates-formes comme Airbnb que de les louer aux habitants.

Du rêve au cauchemar

Voyager est un rêve mais accueillir à longueur d’année des hordes de touristes en bas de chez soi peut vite tourner au cauchemar ! Est-il possible de vivre sereinement au milieu d’une masse ininterrompue de touristes dont les activités, les besoins, la tenue sont si contraires aux siens ? Le poison, c’est la dose ! Pour ne pas avoir à réagir aussi radicalement que d’autres, la France – champion du monde du tourisme – doit agir avant d’avoir à réagir. Il faut éviter d’arriver à des absurdités comme à Ibiza, où les habitants désertent leur île pendant l’été, ou à Barcelone, où des activistes en viennent à attaquer un car de tourisme, comme en juillet dernier. Nous devons prendre en compte cette exaspération, voire ce rejet du tourisme.

Sortir des seuls objectifs quantitatifs

Faut-il mettre un frein au tourisme ? Bien sûr que non ! En revanche, nos objectifs ne peuvent plus être uniquement quantitatifs. C’est suicidaire de se positionner en « destination du tourisme de masse ». Pour ne pas devenir la « grande surface » du monde, nous devons faire de la France un modèle de tourisme soutenable, opter pour un tourisme raisonnable qui croit dans le respect des lieux, de l’environnement et surtout de la vie des peuples.

Autoroutes du low cost

Comment ? En cessant d’être « Paris-centric » pour commencer ! L’exemple réussi de la région Nouvelle-Aquitaine, qui a multiplié les propositions de produits touristiques et construit des circuits alternatifs pour mieux gérer les flux de visiteurs, doit utilement inspirer d’autres régions. Donnons envie aux touristes du monde entier de découvrir toutes les ressources de notre pays. Adaptons nos infrastructures en privilégiant les dessertes régionales pour non seulement simplifier et fluidifier les flux mais aussi éviter de créer des autoroutes du voyage low cost ? Régulons les zones touristiques avec les élus locaux pour que les touristes soient minoritaires dans tous les lieux de vie : musées, marchés, concerts, magasins, etc.

Le tourisme est une merveilleuse manière de faire découvrir notre pays et notre façon de vivre. En aucun cas il ne doit figer ni folkloriser notre mode de vie et avoir pour conséquence de repousser les habitants vers des zones tierces. Regardons ce qui a été fait pour  les JO de Paris 2024, c’est cette ambition choisie qui fera de cet événement à la fois un succès par son attractivité touristique mondiale et son succès local pour un tourisme responsable.

A ceux qui s’étonneraient que ce constat vienne d’un professionnel du tourisme, je répondrais qu’en tant que petit-fils de viticulteur je connais la différence entre résultats à court terme et à long terme. Vouloir un succès pérenne, c’est devoir travailler le court terme et le long terme à la fois. La France a besoin d’un plan Tourisme raisonné pour que l’ambition de demain soit soutenable dès aujourd’hui.

Les ECHOS – Pierre-Frédéric Roulot , CEO de Louvre Hotels Group – Jin Jiang Louvre Asia.

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